Nous connaissons tous la cigogne blanche, cette belle entité alsacienne mythique, qui a le soin d’apporter les nourrissons dans les bonnes maisons et vit haut perché sur les cheminées dans d’augustes nids séculaires. Symbole de la fertilité et de la bonne fortune, ce bel oiseau noir et blanc, aux pattes et au long bec rouges vifs, a longtemps été pour moi l’oiseau des contes, une entité un peu fée, nichant aux confins de mon pays, là où finalement on ne va pas sans une bonne raison. Et puis voilà qu’un jour, en vagabondant sur les chemins sauvages de Camargue entre ciel et eau au plus près du Vaccarès, dans le parc naturel, je découvre l’incroyable ! un nid de cigognes habité et renfermant son trésor d’œufs, à l’abri sous les becs et les plumes chaudes de ses parents. Mon émotion et mon émerveillement ont été intenses et j’ai dévoré des yeux- grâce à ma paire de jumelles et à mon 300mm-, les belles cigognes blanches qui depuis toujours m’étaient restées inaccessibles.
L’histoire de ce magnifique échassier migrateur est complexe et les voir aujourd’hui, sédentaires en Camargue par exemple, est le fruit de plusieurs années d’une politique humaine destinée à protéger l’espèce de l’extinction, dû principalement aux polluants et pesticides organochlorés dans sa nourriture, et au braconnage à seule fin de s’en nourrir sur ses lieux d’hivernage. Si elle n’est plus en danger d’extinction chez nous, elle n’en demeure pas moins fragile dans la progression de sa population. En août 2023, par une après-midi torride alors que je passais, j’ai vu une cigogne blanche survoler paisiblement la ville de Carpentras. Était-elle en vol de reconnaissance pour trouver un nouveau territoire où boire et se nourrir ? Je n’ai jamais revu sa présence dans le Vaucluse depuis ce jour.
La cigogne blanche (ciconia ciconia) est grégaire. Elle vit dans les écosystèmes herbacés de vaste étendue, humides, mais ne redoute pas les espaces secs, comme je l’ai vu dans les champs autour d’Istres en plein été. En période de nidification cet échassier arboricole recherche de grands arbres pour y bâtir son nid, que le couple renforcera année après année. Sa nourriture est exclusivement animale et se compose de ce que les opportunités lui procurent… petits mammifères, amphibiens, reptiles, gros insectes…
La cigogne blanche est vraiment touchante à observer de par ses attitudes toujours mesurées et un peu lentes, cette grâce naturelle qui lui est propre. Dans le nid, j’ai entendu le couple communiquer tendrement avec leurs becs en lançant des petits claquements secs et répétés.
Les juvéniles se reconnaissent à leur bec noir et leurs proportions inférieures à celles des parents. J’ai remarqué qu’un parent restait toujours près des cigogneaux quand l’autre quitte le nid pour aller chasser.
À l’automne 2022 alors que je rejoignais le site du Fangassier, j’ai eu la chance de voir passer une cigogne noire (ciconia nigra). Beaucoup plus discrète et solitaire que la cigogne blanche, elle vit proche des milieux forestiers et des petits cours d’eau pure et n’apprécie pas la présence de l’Homme, contrairement à sa cousine blanche qui s’en accommode. On la distingue aisément à son plumage noir sur la tête, le cou et les ailes, tandis que la cigogne blanche est toute blanche à l’exception du pourtour de ses ailes.
Voir évoluer une cigogne est un ravissement. Depuis ma première rencontre en Camargue, il m’a été donné d’en observer sur les rives du Rhin en Allemagne et le long de la ligne du TGV où j’étais assise, dans les champs de la plaine d’Alsace, là où le mythe est né. Ses nombreuses évocations en plein cœur de Strasbourg est toujours attendrissante à mes yeux, mais c’est incomparable avec l’émerveillement que je ressens quand je l’observe en milieu sauvage, au nid. Longue vie aux Cigognes !
Photos toutes prises en Camargue près du Vaccarès, près de la Capelière. Au nid en avril 2019, juvéniles en juin 2024, en vol en 2021, et la cigogne noire en septembre 2022 commune de Gageron .