Quand le charmant Adonis* (encore une fleur nommée d’après un personnage de la mythologie !) s’entoure de sorcières noires… quelle rencontre cela fait ! et pourtant le lieu est charmant : c’est une clairière superbe avec un très vieux pommier, au milieu d’une des plus jolies forêts des monts de Vaucluse que je parcoure, tant ses essences sont profuses et variées et qu’elle est peu courue.
Adonis flamme (Adonis flammea) et jusquiame noire (Hyoscyamus niger), toutes deux sauvages et toxiques, -notamment la jusquiame noire, surnommée « plante de sorcière » affreusement vénéneuse – surgissent au printemps sur des sols calcaire, dans les friches, les champs abandonnés, les lisières jusqu’à 1900m d’altitude. J’ai été très étonnée de les trouver rassemblées dans cette superbe clairière de montagne, une ancienne culture avec un verger abandonné, cernée par une forêt vaste et dense, repaire de chasse. Il y avait un rassemblement de jusquiame noire étourdissant et en le parcourant précautionneusement j’ai déniché le gracile petit adonis flamme rouge sang, au milieu de ces imposantes sorcières piquantes, affreusement belles !
La jusquiame noire (Hyoscyamus niger) a une odeur désagréable et des feuilles velues, gluantes au toucher. Les fleurs tournées d’un même côté s’épanouissent au sommet d’une haute tige (jusqu’à 1m). La corolle en cloche beige clair se termine en cinq lobes arrondis finement veinés de pourpre. Le cœur violet foncé était autrefois évoqué comme « œil du diable ».
Ses alcaloïdes toxiques pour le système nerveux étaient utilisés comme sérum de vérité pendant la Seconde guerre mondiale (action hypnotique, hallucinogène, analgésique, amnésiante). Sa racine puissante, fusiforme est la partie la plus toxique. Consommées en salade, ses jeunes feuilles provoquent la mort.
La plante a été utilisée autrefois comme poison et comme plante magique, et à très faible dose comme plante médicinale.
Hyoscyamus niger est un grand remède homéopathique.
L’adonis flamme (adonis flammea) fait partie de la famille des renonculacées, mesure entre 30 et 50 cm, et apparaît entre mai et août jusqu’à 1500m. Les fleurs solitaires ont 6 à 8 pétales rouge vif (contrairement aux autres Adonis qui possèdent une tache noire à la base de chaque pétale), et un cœur noir violacé. Elle est considéré comme faiblement toxique.
C’est une des plantes messicoles que l’usage, décennie après décennie, des herbicides sélectifs et autres substances phytosanitaires, a pratiquemment fait disparaître.
Dans cette clairière bucolique, nous aurions de quoi faire un sacré bouillon … ça laisse songeur. En tous cas j’ai fait cette rencontre et toutes les photos présentées, le 12 mai 2024.
* « La fable d’Adonis est une légende syrienne à laquelle Hésiode fait déjà allusion : le roi de Syrie Théias avait une fille, Myrrha ou Smyrna, que la colère d’Aphrodite poussa à désirer un inceste avec son père. Avec l’aide de sa nourrice Hippolyté, elle parvint à tromper Théias, et s’unit avec lui pendant douze nuits. Mais, la douzième nuit, Théias s’aperçut de la ruse de sa fille et il la poursuivit armé de son couteau pour la mettre à mort. Myrrha se mit sous la protection des dieux en ce danger. Et les dieux la transformèrent en un arbre, l’arbre à myrrhe. Dix mois après, l’écorce de l’arbre se souleva, éclata, et il en sortit un enfant qui reçut le nom d’Adonis. L’enfant grandit entre Aphrodite et Perséphone. Plus tard, la colère d’Artémis (on ne sait au juste pour quelles raisons) suscita contre lui un sanglier qui, au cours d’une chasse, le blessa mortellement. Cette première ébauche du mythe où l’on reconnait le symbole du mystère de la végétation, dans cet enfant né d’un arbre qui passe un tiers de l’année sous la terre et qui le reste du temps remonte au jour s’unir à la déesse du printemps et de l’amour fut ensuite embelli et complété.
À Byblos, passait un fleuve, appelé l’Adonis, qui prenait une teinte rouge chaque année le jour où l’on célébrait la mort d’Adonis.
Plusieurs légendes de fleurs sont liées à l’histoire d’Adonis; non seulement la myrrhe (les larmes de Myrrha) mais celle de la rose. Le poète idyllique Bion raconte que la déesse versa autant de larmes qu’Adonis répandit de gouttes de sang et, de chaque larme naissait une rose, de chaque goutte de sang une anémone. »
Dictonnaire de la mythologie – PUF – Pierre Grimal.